J'étais allongé dans une chambre d’hôtel au Maroc et Césaire était mort
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Je pensais à ça, à lui, au fait que je suis Noir et à d’autres choses encore
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Le hall grouillait d’intellectuels, d’artistes: j’en avais salué quelques-uns
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avant de prendre l’ascenseur
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Lorsqu’on m’invitait à ce genre d'événements, non pas que j'étais pris par la
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peur
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Mais une sensation étrange de sentiments mêlés me questionnait sur ma place
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Sidi Badr était dans une autre chambre, quelques étages plus bas,
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au téléphone avec Bilal
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Réglant les derniers détails techniques de l’album que vous êtes en train
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d'écouter
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Quant à moi c’est par le mot, le mythe, l’Amour et l’humour qu’au cœur du
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vivant il s’agissait de s’installer
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Noir comme un département de l’humanité
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Noir comme pour l’universel son singulier
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Noir comme s’il s’agissait d’aimer
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Césaire évidemment aurait pensé que la poésie est toujours une question
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d’entre-deux
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Une sorte de trait d’union qui interpellant l’histoire en la tutoyant dirait «je»
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Entre l’absence et la présence comprendre qu'être subversif c’est passer de
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l’individuel au collectif
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Lorsque je rentrais dans ce genre de réflexion, non point que j'étais craintif
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Mais un questionnement profond quant à la responsabilité m’interpellait sur ma
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fonction
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Sidi Badr était dans une autre chambre, quelques étages plus bas,
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en train de faire ses ablutions
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Et Bilal à quelques milliers de kilomètres de là composait la musique que vous
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écoutez
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Quant à moi c’est par le mot, le mythe, l’Amour et l’humour qu’au cœur du
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vivant il s’agissait de s’installer
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Noir comme un département de l’humanité
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Noir comme pour l’universel son singulier
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Noir comme s’il s’agissait d’aimer
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Quelle image avions nous de nous-mêmes au temps de Senghor et de Diop au fait?
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Tout cela est tellement loin pour ma génération, comment voulez-vous qu’on s’en
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souvienne
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De ceux qu’on fait que bien qu’ayant grandi dans le ghetto notre esprit n’y
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vive pas?
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Lorsqu’on trouve normal d'être libre et debout, eux se sont battus pour la
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fierté d'être soi
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Mais un sentiment me fait me demander ce que pensait réellement Césaire de nous
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Avec Sidi Badr, on se dit souvent qu'être un homme ça va au-delà de toute
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appartenance, c’est tout
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Et Bilal est d’accord et précise que dans l'émotion c’est ce que notre musique
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doit refléter
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Quant à moi c’est par le mot, le mythe, l’Amour et l’humour qu’au cœur du
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vivant il s’agissait de s’installer
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Noir comme un département de l’humanité
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Noir comme pour l’universel son singulier
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Noir comme s’il s’agissait d’aimer
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J'étais allongé dans une chambre d’hôtel au Maroc et Césaire était mort
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Mais de Fort-de-France à Oujda, de Cayenne à Brazzaville, il rassemble encore
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Intellectuels, peuples des cités, Noirs ou Blancs, je vous salue de la part du «Nègre fondamental»
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Lorsque je me rebelle c’est mu par le devoir impérieux de l’excellence de mon
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style
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Moi, laminaire, je reprends le flambeau avec mes flows, avec mon cœur,
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avec ma bande
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Sidi Badr pense qu’en fait c’est tout juste une question de conscience
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Pour Bilal il faut révolutionner, partir de là où on aurait jamais dû quitter
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Quant à moi c’est par le mot, le mythe, l’Amour et l’humour qu’au cœur du
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vivant qu’il s’agissait de s’installer
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Noir comme un département de l’humanité
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Noir comme pour l’universel son singulier
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Noir comme s’il s’agissait d’aimer
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Mais il faut rendre à Césaire ce qui appartient à Césaire
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Coupe la musique… écoutez ça:
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«il y a des volcans qui se meurent
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Il y a des volcans qui demeurent
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Il y a des volcans qui ne sont là que pour le vent
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Il y a des volcans fous
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Il y a des volcans ivres à la dérive il y a des volcans qui vivent en meutes et
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patrouillent
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Il y a des volcans dont la gueule émerge de temps en temps
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Véritables chiens de mer
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Il y a des volcans qui se voilent la face
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Toujours dans les nuages
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Il y a des volcans vautrés comme des rhinocéros fatigués
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Dont on peut palper la poche galactique
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Il y a des volcans pieux qui élèvent des monuments à la gloire des peuples
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disparus
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Il y a des volcans vigilants
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Des volcans qui aboient
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Montant la garde au seuil du Kraal des peuples endormis
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Il y a des volcans fantasques qui apparaissent et disparaissent
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(ce sont jeux lémuriens)
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Il ne faut pas oublier ceux qui ne sont pas les moindres
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Les volcans qu’aucune dorsale n’a jamais repérés et dont la nuit les rancunes
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se construisent
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Il y a des volcans dont l’embouchure est à la mesure exacte de l’antique
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déchirure.»
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Aimé Césaire |