Bonjour, j' m’appelle Anne, j' voulais juste vous écrire
|
Mais la main d' la femme qui va t’nir le stylo
|
C’est celle de Joane, une personne que j’admire
|
Et qui va tenter d' me traduire comme il faut
|
Voyez-vous, Joane, elle est pas d' mon troupeau
|
Mais elle s’intéresse à ce qui s' passe dans ma peau
|
J' lui rappelle son frère qui a quitté plus tôt qu' moi
|
Son corps de misère et sa chaise de combat
|
J' vous vois qui toussez pour camoufler vos rires
|
Quand j’essaie d' parler et qu' je n' sais que gémir
|
Quand la main qu' j' vous tends, elle veut pas m’obéir
|
Et que tristement, j' la r’garde aller et v’nir
|
N’importe quel détail de la vie quotidienne
|
Qu' ce soit l' téléphone, les toilettes ou manger
|
C’est tellement d' travail que ça vaut pas la peine
|
On finit par vivre entouré d'étrangers
|
Y en a qui sont là pour gagner leur salaire
|
Qui poussent nos chaises, nous habillent, nous nettoient
|
Par chance qu’y a Joane qui est gentille comme une mère
|
Qu’on dirait qu’elle m’aime et qu’elle est fière de moi
|
Elle verse quelques larmes quelquefois, à ma place
|
Quand y a une belle âme qui veut bien s’attarder
|
Qu’a l’air de comprendre que sous ma carapace
|
Y a des idées franches et un cœur à aimer
|
Comme vous, j’ai d' l’humour, mais j' l’exprime autrement
|
C’est juste que mes rires peuvent sonner comme des cris
|
J' contrôle pas l' volume de mes longs gémissements
|
Quand, au cinéma, je m’offre une comédie
|
Je vois toutes ces têtes devant moi qui s' retournent
|
J' voudrais disparaître mais je suis tellement là
|
Un chien dans l' jeu d' quilles, un humain qui aboie
|
C' toujours à l’horreur que les comédies tournent
|
Comme vous, j' suis émue d’vant un enfant qui pleure
|
Comme vous, j' suis déçue quand j'écoute les nouvelles
|
J' me lève soit de bonne ou de mauvaise humeur
|
J' suis pas différente en dedans d' ma cervelle
|
Mais puisque c’est «cérébrale» qu’on la nomme
|
Cette paralysie qui est ma tache de naissance
|
Les gens ne m' traitent pas vraiment comme une personne
|
Y croient que j’ai mal à mon intelligence
|
Y m' parlent comme on parle à un chat, à une bête
|
Un peu comme y font avec les vieux séniles
|
Ce qu’y comprennent pas, c’est que j’ai toute ma tête
|
Alors que mon corps se tord comme un débile
|
Des tas d' gens oublient qu’y pourraient m' trouver belle
|
Si j'étais capable de ret’nir mes grimaces
|
Alors j' m’interdis d' rêver à grande échelle
|
J’ai que des p’tits souhaits étouffés par mes spasmes
|
Eh oui, j' m’appelle Anne, j' voulais juste vous écrire
|
Merci à Joane d’avoir lu mes pensées
|
Pour que j' puisse enfin à vous tous me confier
|
Bien sûr, j' m’attends pas à ce que cette petite lettre
|
Ne trouve de réponse, à l’exception, peut-être
|
De quelques regards qui me perceront mieux
|
Un petit espoir d'être belle à vos yeux
|
Des tas d' gens oublient qu’y pourraient m' trouver belle
|
Y font des détours, ils ont peur de ma gueule
|
Des tas d' gens oublient, alors moi, j' vous l' rappelle
|
Je suis là, j’existe ! |
Ne m' laissez pas toute seule ! |